24 novembre 2014 - L'Echo ( par Gilles Savary : DÉPUTÉ DE GIRONDE )
Le récent rapport de la Cour des comptes dénonçant l'insoutenabilité économique et financière de la stratégie « tout TGV » ne constitue que le point d'orgue public, particulièrement argumenté et documenté, d'un constat établi de longue date par des organisations syndicales de cheminots, par de nombreux experts, et par la commission Mobilité 21, dont les travaux, présidés par le député Philippe Duron, ont été unanimement salués.
Mais, dans notre gouvernance publique schizophrène, vérité à Paris n'est pas vérité en province. Sur le terrain, imperturbablement, les équipes de RFF, dont le président décline sur toutes les tribunes la nouvelle priorité pour la régénération et la maintenance du réseau historique, déroulent impeccablement le calendrier prévisionnel des projets de LGV promis aux barons locaux par le calamiteux Grenelle de l'environnement.
Plusieurs enquêtes d'utilité publique de LGV viennent d'être lancées malgré le rapport de la Cour des comptes, avec de coûteuses expropriations en perspective, qui s'ajouteront marginalement au naufrage financier de RFF.
Dans le même temps, en Allemagne, où le réalisme l'emporte sur le pharaonisme et le clientélisme, la Deutsche Bahn vient de passer commande de 200 rames d'un nouveau train Siemens ICX, livrable en 2017, de 249 km/h de vitesse maximale, afin de remplacer progressivement son parc d'ICE.
Elle envisage très sérieusement de limiter la vitesse sur son réseau à 250 km/h, seuil au-delà duquel le coût des matériels, la consommation d'énergie et les coûts de maintenance sont jugés difficilement compatibles avec une tarification du train capable de faire face aux nouvelles et implacables concurrences de la route, voire du low cost aérien !
Déjà l'Allemagne avait pris avec une lucidité d'avance sur la France, le virage de la modernisation et de l'optimisation de son réseau historique aux dépens de la construction de lignes nouvelles.
Elle avait pris soin de l'inscrire dans un Masterplan quinquennal d'investissements ferroviaires, adopté par son Parlement, afin de prévenir cette inflexion stratégique majeure des pressions politiques locales.
A l'inverse, faute d'avoir procédé à une révision formelle du Schéma national des infrastructures de transport (SNIT), la politique ferroviaire française reste exposée à la versatilité des pressions politiques et des lobbies d'intérêts.
Alors que la modération des prix et l'émergence spontanée chez les voyageurs de stratégies low cost (covoiturage, autopartage, bus à haut niveau de service) s'affirment comme des tendances lourdes sur le marché des transports, la France continue à l'ignorer avec superbe.
Sans doute, faut-il y voir une compensation de type colbertiste à l'échec commercial international de notre prestigieux TGV et aussi une simple coïncidence dans le fait que les deux instigateurs du « tout TGV », Jean-Louis Borloo et Dominique Bussereau, disposent chacun d'usines Alstom dans leurs fiefs.
Il n'est pas médiocre de vouloir aider son industrie, mais à condition de ne pas défier trop longtemps les évidences.
L'évidence en la matière est que la France a besoin d'un train intermédiaire plus confortable et moins coûteux que le TGV actuel, et que la loi du 4 août 2014 portant sur la réforme ferroviaire que vient d'adopter le Parlement, sera sans effets sur le redressement de notre système ferroviaire si des décisions courageuses d'abandon de projets LGV au profit d'alternatives plus accessibles, mais aussi de programmation et d'équipement ferroviaires, ne sont pas prises urgemment.
Gilles Savary
Gilles Savary est député de Gironde et rapporteur de la loi sur la réforme ferroviaire.