29 octobre 2014 - La Dépêche ( interview avec Maître Tête )
Conseiller régional EELV dans le Rhône, Etienne Tête, est aussi avocat, et c'est avec cette casquette qu'il épaule les anti-LGV de la région. Pour lui, l'enquête d'utilité publique doit être stoppée.
La Dépêche du Midi : La Cour des comptes vient de rendre public un rapport défavorable au développement des lignes à grande vitesse. Cette analyse change-t-elle votre approche ?
Étienne Tête : «Ce que dit la Cour des comptes est tout sauf un scoop. On ne va rien changer à notre approche car on savait déjà ce qu'elle dit. La Cour des comptes relève que la redevance payée par la SNCF à Réseau ferré de France (RFF) est élevée. Rien de plus normal, il faut amortir le coût des travaux et RFF ne peut pas être déficitaire. Du coup, les redevances augmentent et les aides publiques sont annoncées de plus en plus importantes. Et je trouve surprenant — je ne suis pas le seul — que la seule réaction de la SNCF soit d'annoncer une augmentation de ses tarifs de première classe, de stopper les voitures-bars sur certaines lignes (là, je ne comprends pas…) et de diminuer les remboursements de billets, ce qui est tout bonnement scandaleux.»
L'avis de la Cour ne modifie en rien votre approche, alors ?
«C'est mieux encore, elle conforte nos thèses. On a avec les projets de ligne à grande vitesse le même raisonnement qu'avec les programmes de développement des voies autoroutières et pour ne citer qu'un projet le Lyon-Paris. Ce sont les mêmes mécanismes. Dans le domaine des autoroutes, les «barreaux» utiles ont été faits et il en va de même avec les lignes à grande vitesse. On doit désormais réfléchir à l'aménagement des voies existantes. Bordeaux-Toulouse bien sûr, mais aussi Lyon-Turin.»
Cette analyse de la Cour des comptes apparaît-elle une façon pour l'État de se désengager pour sortir par le haut ?
«Si c'était ça, j'en serais heureux. Mais l'avis de la Cour est rarement écouté. Elle développe l'aspect économique de la question mais on sait tous que l'homme politique développe une cécité dans ce domaine. C'est l'inverse du bon sens (…) Je ne suis pas sûr que cet avis de la Cour soit de nature à remettre en cause immédiatement les projets. En revanche, l'enquête publique est perturbée, percutée par ce rapport mais aussi par l'abandon de l'écotaxe. Ce scénario est voulu, c'est un message au citoyen. On lui dit, n'y allez pas, de toute façon le projet Bordeaux-Toulouse est abandonné. Pour moi, le préfet doit dans ce contexte suspendre l'enquête publique (elle court jusqu'au 8 décembre, N.D.L.R.).»
Vous êtes avocat des anti-LGV et vous venez de saisir les services du Premier ministre. Vous remettez en cause le contenu même de ces consultations de la population ?
«C'est tout le problème des enquêtes de ce type en France depuis trente ans et depuis un demi-siècle pour ce qui est du dispositif des expropriations. C'est un peu comme si vous allez chez le chef Bocuse sans regarder avant les prix à la carte. On parle des dépenses, et jamais des recettes. On sait que ce n'est pas rentable, que les aides publiques, y compris celles des collectivités, vont en augmentant (…) C'est une mascarade de la démocratie, le système s'épuise. Par exemple, rappelez à vos lecteurs qu'un commissaire enquêteur chargé d'émettre un avis n'est pas bénévole. Il est rémunéré et s'il veut un autre contrat d'intérim si j'ose dire, une seconde mission, il faut qu'il travaille bien. Et bien travailler, c'est donner un avis favorable. On fait croire qu'ils sont indépendants, c'est faux !»
Il reste toutefois qu'une minorité se bat sans que la population au sens global du terme ne semble intéressée…
«Là, c'est la question de l'être humain. Sur 100, vous en avez trois ou quatre qui sont héroïques, qui se battent. Vous en avez à peu près le même nombre qui joue la carte de la politique du pire et de l'entente cordiale avec les décideurs et le reste me fait penser à ce que disait Coluche. Je ne demande rien mais tout ce que je demande, c'est qu'on ne me demande rien.»