1 juillet 2013 - Sud Ouest
Député PS et spécialiste des transports, Gilles Savary met en garde contre l’entêtement à défendre la liaison à (trop) grande vitesse.
Gilles Savary : « Pas besoin de circuits de Formule 1 pour transporter les voyageurs. » (arch. F. Cottereau)
« Sud Ouest ». Jeudi dernier, en session plénière du Conseil général, vous avez estimé que l’Aquitaine allait dans le mur si elle ne tenait pas un discours plus réaliste sur la Ligne à grande vitesse.
Gilles Savary. Le rapport de la commission Duron remis au Premier ministre nous rappelle tous à l’impitoyable réalité financière. Il est absolument impossible de financer tous les projets ferroviaires et routiers qui sont prévus dans le pays. Tous les élus, y compris socialistes, sont tombés comme des lucioles dans le panneau Borloo qui, lorsqu’il était ministre de l’Écologie et des Transports, a distribué de la LGV comme un père Noël mais sans aucun financement ni aucune programmation.
En décembre 2011, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui lui avait succédé, avait tenté d’affirmer que l’État n’aurait pas les moyens de financer tous ces projets mais elle avait été réduite au silence.
Les promesses Borloo se montent à plus de 250 milliards d’euros avec l’endettement de RFF (Réseau Ferré de France) qui se monte déjà à 32 milliards d’euros. Soit le remboursement annuel des intérêts de la dette à hauteur d’un milliard. C’est absolument intenable même en cas très improbable d’un retournement de situation économique.
SO:Préconisez-vous l’abandon de la LGV vers l’Espagne et entre Bordeaux et Toulouse ?
Tout dépend de quelle grande vitesse on parle. La liaison vers Toulouse est indispensable pour le maintien d’Airbus car l’Allemagne fait le forcing pour rapatrier à Hambourg le montage des avions. Quant à l’Espagne, il faut aussi que la liaison avec Bordeaux se fasse. Mais je m’élève contre l’intégrisme LGV, qu’il soit du côté des pro ou des anti.
Aujourd’hui, la pensée unique ferroviaire et le lobby Alstrom veulent nous vendre des TGV qui roulent à 340 km/heure. Des Concorde ferroviaires en quelque sorte. Or, l’Europe finance la grande vitesse à partir de 250 km/heure.
En Allemagne, qui est un des pays les plus en pointe pour le ferroviaire, on ralentit les trains car la trop grande vitesse a un coût exponentiel en équipement comme en maintenance. Il n’y a pas besoin de circuits de Formule 1 pour transporter les voyageurs.
Un train qui roulerait à 250 à l’heure entre Bordeaux et l’Espagne mettrait seulement 13 minutes de plus qu’un train qui roule à 340 mais coûterait 4 milliards d’euros de moins.
SO: Dans ces conditions, la liaison grande vitesse pourrait-elle se faire avant 2030, date avancée dans le rapport Duron ?
Évidemment. Il y aurait plus de trains, donc plus de capacité pour les voyageurs. Et, de surcroît, nous aurions la même subvention européenne pour un coût d’investissement moindre.
Quelles sont les collectivités locales qui peuvent aujourd’hui dire qu’elles vont renoncer à certaines compétences pour financer le GPSO ? On en est à 13,5 milliards d’euros sur ce projet.
SO: Une nouvelle ligne TGV ne permettrait-elle pas de libérer de l’espace pour le fret ferroviaire ?
C’est une fausse idée. Les TGV fonctionnent sur des clientèles qui seront transférées de l’avion et qui n’existent donc pas aujourd’hui. Il y aura autant de TER Bordeaux/Arcachon ou Langon/Bordeaux, voire plus, sur cette ligne qui est saturée. Plus de fret ne passe pas par la LGV.
SO: Vous-même avez longtemps été partisan de la LGV.
Je suis insoupçonnable. J’ai fait ma campagne électorale contre un candidat anti-LGV. A Landiras, j’ai été sifflé parce que je défendais les liaisons Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Hendaye. Mais un élu doit être responsable et tenir compte de la réalité financière. Encore une fois, je ne préconise pas l’abandon de ces liaisons, je dis qu’il faut faire de nouvelles propositions en phase avec les capacités de financement.
Je rappelle par ailleurs que je suis aussi en phase avec la proposition 28 du candidat Hollande, qui préconisait d’améliorer les trains du quotidien.
En Aquitaine, notre réseau classique est un des plus mal équipés de France. Dès qu’il y a des travaux, ce sont des perturbations terribles parce que nous ne disposons pas d’installations permanentes de contresens. Les Corail et les Teoz se tiers-mondisent. Tous les grands pays ferroviaires (Allemagne, Autriche ou Suisse) préfèrent amé- liorer leur réseau que le reconstituer.
SO: Sur ce dossier TGV, vous êtes en désaccord avec Alain Rousset ?
Alain a fait énormément de boulot pour la Région Aquitaine mais c’est très compliqué de parler avec lui de ce dossier. Si on ne partage pas sa conception de la LGV, on se fait traiter de déserteur.
Jean-Marc Ayrault va faire des annonces le 9 juillet.
Je redoute que, sous la pression des élus, le gouvernement annonce que les lignes Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Hendaye se feront mais dans dix ans. En clair, qu’on reporte les décisions alors qu’il faut dès maintenant faire des propositions réalistes car, à trop courir les châteaux en Espagne, nous risquons de tout perdre et ce sont les usagers qui en souffriront.
Le rapport Duron ne propose pas de solutions alternatives. Renvoyer après 2030, ça peut être 2050, voire jamais.