25 février 2016 - Sud Ouest
PHOTO ARCHIVES XAVIER LÉOTY
Les associations voulant rénover l’actuelle ligne portent un recours contre deux déclarations d’utilité publique
La lutte des opposants contre le projet de LGV et pour la rénovation de la ligne existantes se poursuit. Ils attaquent aujourd'hui, devant le tribunal administratif, deux procédures engagées par les pouvoirs publics allant à l'encontre des conclusions d'une enquête publique.
D'octobre à décembre 2014, les Lot-et-Garonnais étaient appelés à coucher par écrit leur avis à propos du projet de création d'une ligne à grande vitesse (LGV) entre Bordeaux et Toulouse, en continuation d'un tronçon compris entre Tours et Bordeaux.
Mobilisés depuis des années au sein de nombreuses associations, des citoyens et des élus dirent leur ferme opposition en étayant leur position. S'appuyant notamment sur une étude du cabinet Claraco, spécialisé dans le ferroviaire et les pôles d'activités, sollicité par Alternative LGV, réunissant des élus du département, de Gironde et du Tarn-et-Garonne, et sur les dossiers réalisés par les autres associations, ils contestèrent le projet dans les plus infimes éléments. Et proposèrent une solution alternative consistant à rénover la ligne existante.
Le commissaire enquêteur prit en compte l'ensemble de cet argumentaire pour rendre une décision défavorable au projet de LGV.
À cette première « victoire », les opposants en ajoutèrent d'autres à tous les niveaux. La Cour des comptes fustigea ce projet, dont le coût des travaux ne cesse d'augmenter - il est passé de 4,7 à 8 milliards d'euros - et ne peut plus être supporté par les collectivités territoriales (1) comme par la SNCF et Réseau ferré de France (RFF), deux structures aujourd'hui regroupées au sein de la société SNCF Réseau, qui accusent d'énormes déficits sur toutes les lignes à grande vitesse, dont le réseau français est équipé.
Une commission d'enquête parlementaire en arriva aux mêmes conclusions en demandant, en plus, à RFF d'étudier la proposition alternative des opposants, c'est-à-dire le réaménagement de la ligne actuelle.
Détournement de procédure
Les opposants expliquent : « RFF a décidé de scinder le projet entre Bordeaux et Toulouse en trois opérations d'aménagement distinctes correspondant à trois tronçons artificiellement déterminés : un aménagement ferroviaire au sud de Bordeaux et au nord de Toulouse, et la création de lignes nouvelles reliant les deux cités. Il s'en suit donc trois déclarations d'utilité publique (DUP) au lieu d'un arrêté unique portant sur l'entier projet de LGV et dont les éléments sont indissociables les uns des autres. »
Ils commentent : « En réalité, il s'agit d'un détournement de procédure. Ce saucissonnage est fait pour éviter les seuils d'appels d'offres dans le cadre des marchés publics. Nous ne sommes pas dupes. »
C'est la raison pour laquelle, les associations de citoyens et d'élus, qui ont fait appel au cabinet parisien Barthélémy avocats, spécialisé auprès du Conseil d'État et de la Cour de cassation, ont déposé deux recours devant le tribunal administratif de Bordeaux et de Toulouse contre chacune des DUP concernant les portions de ces deux villes. Ils engageront une procédure identique concernant la DUP des lignes nouvelles devant relier les deux premiers tronçons, qui devrait être lancée le 8 juin.
Les opposants, qui voient grandir leurs rangs avec des prises de position de municipalités et de communautés de communes prêtes à participer aux frais de justice, se montrent optimistes quant à l'issue d'un combat qui va, procédure après procédure, durer encore plusieurs années.
(1) La participation du Conseil départemental de Lot-et-Garonne pour la partie Tours-Bordeaux était prévue à hauteur de 37 millions d'euros. Finalement, après avoir versé 13 millions d'euros, le Département, comme ses voisins, a décidé de ne plus financer ce projet.
Pourquoi le tronçonnage du projet est litigieux
Lancée par arrêté préfectoral, une enquête d’utilité publique, comme celle qui a eu lieu en Lot-et-Garonne en 2014, a pour objectif de recueillir l’avis de toutes les personnes intéressées, du particulier aux associations ou autres groupes constitués. Elle concerne la réalisation de certains projets à risques ou dangereux, ayant des impacts potentiellement importants sur l’environnement, comme c’est le cas pour les infrastructures de transports ferroviaires.
Cette enquête doit durer au moins un mois et s’appuyer sur une étude d’impact lorsqu’il s’agit de gros projets ou de projets dépassant un certain seuil technique. Elle est obligatoire à partir d’un certain plafond de budget. Elle est supervisée par un commissaire enquêteur qui, après avoir pris en compte toutes les pièces du dossier, livre ses conclusions en donnant un avis favorable ou non. Cet avis n’étant que consultatif, les pouvoirs publics peuvent dans tous les cas prononcer la déclaration d’utilité publique (DUP).
Phénomène de cliquet
Celle-ci doit prendre la forme d’un décret en Conseil d’État pour les opérations les plus importantes, à l’exemple d’une ligne de chemin de fer. Cette procédure administrative permet de réaliser une opération d’aménagement, telle que la création d’une infrastructure de communication… sur des terrains privés en les expropriant, précisément pour cause d’utilité publique. Le décret précise la durée pendant laquelle la déclaration reste valable.
Il est interdit de scinder un projet pour éviter d’avoir à faire une enquête publique en faisant baisser le coût apparent pour passer sous le seuil légal imposant enquête.
C’est en s’appuyant sur ces textes officiels que les opposants au projet de LGV qualifient les deux récentes DUP de « détournement de la procédure » en expliquant : « Ce tronçonnage du projet est ce qu’on appelle un effet cliquet, phénomène ou procédé qui empêche le retour en arrière d’un processus une fois un certain stade dépassé. »