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LGV : le grand bluff de la compensation écologique
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1 avril 2015 - Rue89Bordeaux.com par Stéphane Moreale

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Chantier de la LGV Bordeaux-Tours (Guy Chaillou/flickr/CC)

Les impacts sur la biodiversité des LGV seront importants : c’est un des motifs de l’avis négatif de la commission d’enquête sur les projets de LGV Bordeaux-Toulouse et Bordeaux-Espagne. Et ce malgré les mesures de compensation, consistant à restaurer ailleurs des écosystèmes, que SNCF Réseau (ex RFF) n’a pas encore détaillé. D’ailleurs, aucun bilan des opérations menées lors de précédents gros chantiers (A65, LGV Tours-Bordeaux) n’est disponible.


« Les impacts sur la biodiversité, après réduction et compensation, seront plus importants que “faibles à négligeables” », estime la commission d’enquête publique dans son rapport sur le Grand projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). C’est une des principales critiques au projet, qui vaut un avis négatif des enquêteurs à sa déclaration d’utilité publique.

Dans le dossier du maître d’ouvrage, SNCF Réseau (ex RFF), le terme « développement durable » est pourtant cité 1247 fois. Une préoccupation partagée par le président de la région Aquitaine Alain Rousset qui annonce fièrement dans Sud Ouest, le 6 décembre 2014 :

« Les mesures environnementales prévues pour plus de 1 milliard d’euros permettront de préserver les écosystèmes, de reboiser et de limiter l’impact de l’infrastructure. »
Promis-juré : les dégâts causés aux 4830 hectares d’espaces naturels dont 2800 de forêts par le chantier de la future LGV seront entièrement com-pen-sés ! Mais cet argumentaire a du mal à tenir la route.

« On ne va pas replanter la hêtraie relique »

« Sur tout ce qui est dérangeant, RFF n’a donné aucune précision » analyse Philippe Barbedienne, directeur de la Sepanso, la fédération aquitaine des associations de protection de la nature.

Concernant la compensation par exemple, où trouver 2800 hectares d’espaces disponibles à reboiser ?

« Impossible, soutient Philippe Barbedienne. Il y aura donc des tentatives – si le projet se fait – pour négocier des compensations financières. »
Même si on trouvait des terrains disponibles, ce serait pour y planter quoi ? Préserver les écosystèmes sous-entendrait de les recréer à proximité du chantier LGV. Va-t-on replanter la hêtraie relique du Ciron traversée par les lignes ?

« Comme on le voit pour l’A65, les compensations sont obligatoires mais pas in situ, commente Monique Di Marco, vice-présidente du Conseil régional d’Aquitaine, en charge de l’Environnement et de l’Adaptation au changement climatique ; on peut les faire à 100 km de là ! Si on détruit une zone humide, on ne va pas la recréer à proximité. »
Selon Philippe Barbedienne, « pour l’A65, on ne sait pas s’ils ont reboisé ni où ».

Mangez du pin

Pour « compenser » le défrichement de massifs boisés sur le tracé de la LGV Tours-Bordeaux, l’opérateur (le groupement d’entreprises COSEA) affirme que « 1350 hectares vont être replantés d’ici 2017, soit une surface supérieure à celle défrichée ». Pour mener à bien ces actions, COSEA s’est entouré de partenaires : des propriétaires privés souhaitant boiser leurs terrains, les Centres régionaux de la Propriété forestière et la Société forestière de la Caisse des Dépôts et Consignations (CDC).

Les propriétaires se portent volontaires pour mettre à disposition leurs terres dans le cadre de ces mesures de compensation. COSEA prend en charge les travaux de reboisement (études, préparation des sols, plantations et entretien) durant les 3 premières années ; de son côté, le propriétaire s’engage par convention à maintenir l’état boisé pendant vingt ans.

Ce qui amène deux remarques : d’une part, nulle part n’apparaît l’obligation de compenser à proximité des biotopes dévastés, avec les mêmes essences d’arbres ce qui relativise la portée de l’opération. D’autre part cet engagement de compensation n’est que provisoire, puisque l’engagement du propriétaire terrien n’est que de vingt ans. COSEA a d’ailleurs l’honnêteté de préciser que « toutes les candidatures ne sont pas forcément retenues. La surface, la localisation des parcelles, les caractéristiques des sols, le choix des essences font partie des critères de sélection ».

Ciron, un affluent de la Garonne, dans le Sud Gironde (jacme31/flickr/CC)

Notion floue

La notion de compensation est très floue, autorisant à peu près tout comme le confirment les informations recueillies par la Sepanso. Par exemple, quand a été construite la déviation du Haillan (agglomération bordelaise), le chantier a détruit une forêt de feuillus. L’enquête de la Sepanso a révélé qu’on avait replanté du pin maritime, après avoir drainé et traité le terrain avec des désherbants.

« Une forêt industrielle, déplore Philippe Barbedienne. On a détruit un écosystème pour en créer un totalement différent. »

Idem en Dordogne : un reboisement a été mené suite à la tempête de 1999. Les territoires impactés étaient composés de forêts mixtes, feuillus et résineux. Mais on a replanté du pin maritime.

La compensation implique-t-elle un déplacement des espèces pour recréer la même biodiversité à proximité ?

« Il n’y a pas de déplacement d’espèces la plupart du temps, donc elles ne se renouvellent pas ! lâche Philippe Barbedienne. Si on compense en “sauvant” une parcelle équivalente ailleurs, on ne peut pas dire “on a sauvé telle espèce”, parce que cette parcelle avait déjà sa population, sa biodiversité. Cette biodiversité ne va pas doubler : la parcelle ne va pas accueillir des “réfugiés” de la LGV ou de l’autoroute ! »

Pas d’obligation de résultat

Les opérations de compensation prennent des visages parfois surprenants.

« Sur Tours-Bordeaux, j’ai eu vent de compensations d’espaces naturels qui n’en sont pas vraiment, commente Monique di Marco. Tel le financement d’un jeu interactif sur DVD sur la biodiversité pour les collégiens et lycéens, édité et distribué par Vinci. »

Autre exemple : Dans le vallon du Cros, pour compenser l’altération du biotope des chiroptères (dix espèces sont recensées dans le vallon) par l’A65 on a construit « à grand renfort de communication, un chiroptéroduc » s’amuse Philippe Barbedienne. Une sorte de passerelle surélevée avec des haies sensées guider les chauve-souris. « Comme si elles allaient suivre les flèches “traversez par ici !” »

Sur Tours-Bordeaux, COSEA a investi des budgets conséquents dans des opérations de « sensibilisation » du grand public au développement durable, telles par exemple des opérations dans les écoles d’initiation à la biodiversité. Simple opération de communication ?

« Dans la compensation, il y a une obligation de moyens mais pas de résultat, lâche une source qui a suivi le dossier GPSO au Conseil régional. Ces opérations de compensation font vivre beaucoup de monde : bureaux d’études, entreprises chargées du reboisement… Mais c’est un abus de langage ! On ignore si des espèces détruites d’un côté vont se développer ailleurs. On a fait ça pour donner une valeur marchande au truc. Pour dire “la biodiversité à une valeur et quand vous détruisez une zone humide c’est l’équivalent de 10 millions d’euros”. Le problème c’est que ça a été détourné de son sens : ça vaut tant donc on va recréer ailleurs quelque chose d’autre qui vaut 10 millions. Pour se donner bonne conscience. On compense sur un plan monétaire, mais ça ne compense pas la valeur en terme de biodiversité. »

Contraintes « pas respectées »

« Dans ce genre de projet, RFF fait les promesses puis passe la main, assure le directeur de la Sepanso. Pour Tours-Bordeaux c’est COSEA qui a pris la suite et il ne respecte que les promesses qu’il a faites lui-même ! J’ai vu des photos de sites Natura 2000 impactés par le chantier: tout est décapé. »

Normalement, l’Etat doit contrôler les compensations effectuées.

« Pour Tours-Bordeaux, on a créé un comité de suivi présidé par le préfet dès le début des travaux. Mais les contraintes n’ont pas été respectées, assure une source proche du dossier à la Région. Ce comité de suivi assure juste un suivi des procédures, mais il n’a aucune marge de manœuvre. Les associations ont un siège consultatif : elles peuvent dire “vous n’avez pas fait ceci ou cela” mais c’est tout. Dans la déclaration d’utilité publique signée par le ministre doivent être listées des mesures de compensation, mais on ne sait pas lesquelles. »

Pour l’élue écolo Monique di Marco, « on est en train de créer une marchandisation de la biodiversité ».

« On donne un coût aux dégâts, ça peut être vendu, acheté, recréé ailleurs… Et de quelle biodiversité on parle ? on va dire, voilà 1 hectare de pin, ça a telle valeur marchande ou de biodiversité. Là, c’est une zone plus sensible, humide ou Natura 2000, on lui donne une autre valeur marchande et on compense : on finance des bureaux d’études qui travaillent sur le coût, ensuite on voit où on peut compenser par rapport au coût évalué. »

Banques de mauvaises graines

L’illustration parfaite de ce constat est donnée par l’action menée par CDC Biodiversité : comme le raconte le journaliste Jean-Luc Porquet dans le Canard Enchaîné du 25 mars dernier, cette filiale de la Caisse des Dépôts dispose dans la plaine de la Crau d’une « réserve naturelle » de 357 hectares abritant des outardes (un petit échassier menacé). CDC Biodiversité vend ses parcelles 40 000 euros l’hectare. L’opérateur qui détruit une zone humide riche en espèces d’oiseaux et de batraciens protégés et dont la disparition « vaudrait » 40 000 euros peut acheter un actif de 1 hectare et le tour est joué.

Grâce à un travail de lobbying particulièrement réussi, CDC Biodiversité est en passe d’institutionnaliser ces banques d’un nouveau genre à l’Assemblée nationale dans la loi sur la biodiversité, actuellement en première lecture à l’Assemblée. Un collectif d’associations naturalistes appelle les députés à rejeter les articles 33A, B et C de cette loi.

 

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