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Contribution de Patrick Beauvillard ( Conseiller régional d'Aquitaine)
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2 décembre 2014 

Enquête publique LGV : Avis de Patrick Beauvillard
Conseiller Régional d’Aquitaine (Lot-et-Garonne)
Président de la Commission d’Evaluation des Politiques Publiques

 

L’enquête publique sur le projet GPSO de ligne LGV de Bordeaux à Toulouse (ainsi que de Bordeaux à Dax) concerne un projet élaboré il y a 10 ans, issu d’une vision technologique datant des années 70. Entre temps, la technologie et la société n’ont cessé d’évoluer : les attentes sociétales ne sont plus les mêmes, les crises financières pèsent sur les finances des Etats et des collectivités, leurs conséquences sur la précarité sociale de nos concitoyens sont dramatiques, les démocraties sont mises à mal, les phénomènes de violence explosent, les indicateurs montrent une plongée vers l’abime d’un point de vue écologique et climatique…

Peu à peu, nos concitoyens prennent conscience que notre modèle économique, qui repose exclusivement sur la croissance et elle-même sur l’usage illimité de ressource pourtant finies, est à bout de souffle. Ils comprennent, de façon plus précise que les politiques, qu’il est indispensable d’inventer un autre modèle, à la fois pour des raisons financières, économiques, sociales, écologiques, démocratiques et éthiques.

Malheureusement, les leaders politiques ne réfléchissent pas au changement radical qu’il est indispensable d’imaginer. Ils préfèrent  maintenir le status-quo, faire comme si rien n’avait changé, et s’entêtent dans une position qui nous rapprochera encore un peu plus, et dangereusement, du point de rupture entre les peuples et leurs représentants.

A financement inconnu, utilité inconnue !

Il est parfaitement inconcevable de poser la question de l’ « utilité publique » sans l’associer à la répartition des financements. La question de l’utilité renvoie à la question de la valeur, c'est-à-dire des bénéfices attendus pour un territoire.

La question des clés de répartition du financement n’est pas abordée dans les documents de l’enquête d’utilité publique. Or, même s’il était avéré que le projet apporte des « bénéfices » aux territoires concernés, ils ne pourraient être pris en compte qu’une fois balancés par les effets négatifs, au chapitre desquels figure bien évidemment la question de la part du financement qui pèsera sur les collectivités.

Non seulement cette part est inconnue, mais nous savons que les seules clés de répartition évoquées il y a plusieurs années sont irréalistes puisqu’elles supposent des financements qui depuis ont été infirmés.

Il est donc totalement impossible de fournir un avis du l’utilité du projet, au risque d’émettre une « déclaration de tromperie publique ».

Le syndrome Français : la performance inutile

En 1980, mon professeur d’électrotechnique était particulièrement fier, à juste titre, d’avoir travaillé à la recherche et au développement des turbines du TGV qui allaient être mises en place l’année suivante en 1981. La technologie française de la grande vitesse date donc des années 70... A cette époque-là, le critère technologique considéré était la vitesse de pointe, et le leadership technique de la France en ce domaine est indéniable.

Malheureusement, il semblerait que notre pays ait une propension certaine à s’enfermer dans une vision étroite et figée de la définition de la « performance », ignorant même le besoin social. A l’époque où la demande de déplacement est beaucoup plus importante, la performance doit-elle se mesurer par rapport à la vitesse de pointe d’un équipement, ou par la capacité à permettre à un grand nombre de voyageur d’effectuer rapidement leurs déplacements. Doit-on privilégier la vitesse de quelques-uns (sur des infrastructures financées par tous), où la performance doit-elle être le résultat d’un compromis permettant au plus grand nombre d’en profiter, en fonction de leurs usages ?

Il serait alors nécessaire de considérer l’utilité globale des infrastructures ferrées, en considérant alors non seulement les déplacements de voyageurs inter-régionaux, mais également infra-régionaux ainsi que le déplacement de marchandise. La performance d’utilité publique est alors la capacité à partager une infrastructure pour répondre à des usages multiples.

L’argument fréquemment avancé en faveur de la création de la nouvelle ligne serait précisément l’incapacité de faire circuler des trains roulant à des vitesses différentes (TGV, TER, Fret) sur une même infrastructure. Or, il est particulièrement surprenant de voir que d’autres pays y parviennent, au prix d’une réorientation de leurs investissements technologiques vers des motrices dont les capacités d’accélération et de décélération sont plus rapides, vers des systèmes de signalisation embarqués de nouvelles générations, et vers un meilleur entretien des infrastructures. C’est la voie que nous devrions privilégier, en mettant la technologie au service des usages et non des performances intrinsèques.

La LGV est présentée par ses promoteurs comme « la seule alternative ». C’est cette vision étroite qui a déjà menée notre pays dans des aventures de leadership technologique avéré mais inutile comme, chronologiquement, avec le « Plan Calcul », le « Concorde », ou le « Minitel ». Evitons aux Aquitains d’en faire à nouveau les frais.

Socialement obsolète

Depuis la crise de 2008, les Français et les Aquitains dans leur grande majorité comprennent que le modèle économique actuel, fondé sur toujours plus de croissance, n’est pas soutenable. Cette prise de conscience entraîne automatiquement une évolution des usages vers d’autres types de déplacement comme on le remarque notamment avec l’essor du co-voiturage, responsable selon la Présidente de la Région Franche Comté d’une diminution de 10 à 20% du trafic TER.

D’autre part, la diminution du pouvoir d’achat des ménages les amène à reconsidérer leurs habitudes en fonction du critère financier. Nous pensons que cela ne cessera d’évoluer comme l’annonce l’augmentation du trafic passager par cars longue distance, secteur qui plus est dont la libéralisation est attendue.

Le modèle économique du TGV où la vitesse coute très cher est donc dépassé, comme en témoigne le changement de stratégie de notre voisin allemand. L’utilité publique c’est de développer des solutions permettant au plus grand nombre d’aller un tout petit peu moins vite en payant beaucoup moins cher.

Ecologiquement absurde

Reportons-nous à l’avis de l’Autorité Environnementale du Conseil Général de l’Environnement et du Développement Durable, du 22 Janvier 2014. Ce rapport n’émet pas d’avis sur le projet, mais sur la qualité de l’étude d’impact et la prise en compte de l’environnement par le projet.

L’Autorité Environnementale conclut en demandant que les points suivants soient documentés, ce qui sous-entend qu’ils ne le sont pas à ce jour :

-        Les raisons même pour laquelle le GPSO existe par rapport à l’aménagement de la ligne existante

-        L’évaluation des impacts sur les milieux aquatiques

-        L’évaluation des incidences sur le réseau Nature 2000

-        L’impact sur la biodiversité

-        L’impact acoustique du projet

-        La gestion de matériaux nécessaires

En d’autres termes, et sans utiliser la « langue de bois » administrative, le dossier GPSO est vide d’un point de vue de son impact environnemental.

A l’heure où l’Europe, l’Etat et les collectivités commencent à comprendre l’enjeu que représentent la perte de biodiversité, l’importance de la préservation des milieux fragiles, ou l’importance de la préservation des terres agricoles, nous devrions être prêts à avaliser un projet dont l’impact écologique n’est pas analysé, mais dont on sait, uniquement par notre connaissance intime de notre territoire, qu’il serait énorme.

D’un point de vue strictement énergétique, le coût de la grande vitesse est estimé à 2 fois celui des trains traditionnels pour la même vitesse. Il est totalement inacceptable de choisir délibérément un tel surcoût énergétique alors que la priorité doit être donnée à la réduction de la facture énergétique.

Démocratiquement dangereux

Je termine en soulevant un problème auquel je suis particulièrement sensible, étant Président de la Commission d’Evaluation des Politiques Publiques du Conseil Régional d’Aquitaine.

Comme d’autres projets tels que le barrage de Sivens, l’aéroport de Notre Dame des Landes ou la Ferme des 1000 Vaches, GPSO représente un risque réel pour la cohésion sociale.

D’une part, les procédures de concertation qui ont été menées l’ont été il y a plusieurs années, dans un contexte différent de celui d’aujourd’hui et à une époque où les populations concernées n’étaient pas alertées. Si elles ont une valeur juridique, leur valeur démocratique est extrêmement limitée et elles ne sauraient être prises comme des gages d’adhésion des Aquitains au projet.

D’autre part, le format des enquêtes d’utilité publique ne permet en aucun cas d’organiser la délibération démocratique sur ce qui « fait valeur » pour nos concitoyens. On leur demande de se prononcer sur l’utilité d’un projet mais cela n’a aucun sens. L’utilité sociétale de GPSO ne peut-être évaluée par les aquitains qu’en leur apportant l’éclairage leur permettant de discerner les éléments de valeurs et de délibérer sur ce qu’ils perçoivent comme des « bénéfices » (des valeurs positives), ou comme des « maléfices » (des valeurs négatives). La valeur d’un projet comme GPSO ne peut en aucun cas être mesurée par la simple réduction d’un temps de parcours. Elle ne peut l’être qu’un prenant en compte un ensemble de critères dont la définition même doit être l’objet d’un débat démocratique. Ce travail n’a pas été fait, ni par les politiques, encore moins par les citoyens.

La défiance de nos concitoyens à l’égard des politiques prend, sa source dans le fait que les critères d’évaluation des politiques publiques utilisés par leurs auteurs ne correspondent plus aux critères que les citoyens souhaiteraient évaluer.

Dans ces conditions, poursuivre l’instruction de GPSO et sa mise en œuvre représente un risque démocratique significatif, comme d’ailleurs d’autres projets l’ont laissé entrevoir dramatiquement récemment.

La sagesse des décideurs seraient de renoncer à une telle folie.

 

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