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Financement des projets ferroviaires, le Conseil d'État s'en mêle-t-il ou s'emmêle-t-il ?
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16 janvier 2017 - Les Echos ( par Daniel Ibanez)

 

Des décisions contradictoires du Conseil d’État sur des projets ferroviaires Poitiers-Limoges et Lyon-Turin qui interrogent. Ce qui peut apparaître comme des décisions contradictoires, incompréhensibles pour le public, renforce le sentiment de défiance de plus en plus généralisé à l'encontre de l'Institution publique dans son ensemble.

Le 15 avril 2016, le Conseil d'État a annulé l'utilité publique du projet ferroviaire Poitiers-Limoges, à la demande notamment de la Fédération Nationale des Associations d'Usagers des Transports (FNAUT). Cette décision rompt avec une politique d'enregistrement de tous, ou presque tous, les projets d'infrastructures, plus encore dans le domaine ferroviaire. Elle intervient surtout après deux autres décisions du Conseil d'État entérinant l'utilité publique pour les projets CFAL Nord (contournement Ferroviaire de l'agglomération lyonnaise) et Lyon-Turin.

On le sait, la Cour des comptes s'est montrée extrêmement critique sur le projet Lyon-Turin qu'elle a visé dans plusieurs rapports, dont un référé au premier ministre. La Cour des comptes a notamment dénoncé l'impossible équilibre économique et l'impossibilité d'un financement dans la situation de contrainte budgétaire et d'endettement public. Elle rappelait que "La SNCF estime à l'heure actuelle que pratiquement toutes les lignes à grande vitesse en construction ou en projet sont susceptibles de dégrader la marge opérationnellede SNCF-Voyages", et "il ne reste en fait pratiquement aucune ville européenne qui soit à la fois d'importance suffisante en termes de population et suffisamment proche pour justifier d'une liaison TGV par rapport à la France".

Dans un nouveau référé au premier ministre publié le 29 août 2016, visant la situation financière de l'AFITF (Agence de financement des infrastructures de transport de France), la Cour a indiqué que "si l'État décide d'aller plus loin dans l'engagement et le financement du tunnel ferroviaire Lyon-Turin et du canal Seine-Nord, il devra dégager entre 1,6 et 4,7 MdEUR supplémentaires. La Cour souligne le caractère très préoccupant de cette perspective pour l'équilibre futur des finances publiques."
Dans le même esprit, le magazine Mobilicités rapportait le 18 mars 2016 les propos tenus en privé à propos du projet Lyon-Turin par le président de la SNCF, Guillaume Pépy : "Ce sera autant d'argent en moins pour moderniser le réseau ferroviaire existant", déclaration non démentie...

L'une des critiques de la Cour des comptes dans son rapport du 23 octobre 2014 pour le projet Poitiers-Limoges était : "Alors même que l'enquête publique est achevée et que le décret d'utilité publique est en préparation, les modalités de financement de cette infrastructure ne sont ni déterminées, ni même envisagées." La même remarque vaut d'ailleurs pour le projet Lyon-Turin, puisque le représentant de RFF (devenue SNCF Réseau) déclarait lors des réunions publiques en cours d'enquête publique : "sur le financement il est envisagé de lancer une discussion", et lors d'une autre réunion "le tour de table des financements publics va être engagé".

Un an après, Louis Besson (président de la délégation française sur le Lyon-Turin) déclarait à la presse que le financement n'était toujours pas disponible. Quatre ans après, les vaines tentatives de deux parlementaires Michel Bouvard, Sénateur LR, et Michel Destot, Député PS, de proposer une nouvelle taxe sous forme d'Eurovignette le confirment. Alain Vidalies s'est empressé de la remplacer par une taxe sur les usagers des autoroutes, mais... pour le financement de ces mêmes autoroutes. Il est donc établi que les financements du projet Lyon-Turin n'ont pu être présentés lors de l'enquête publique.

Dans l'affaire Poitiers-Limoges, le Conseil d'État a suivi les requérants qui demandaient l'annulation de la déclaration d'utilité publique, notamment pour absence de présentation des financements lors de l'enquête publique. Le Conseil d'État a rappelé les dispositions de la Loi d'Orientation des Transports Intérieurs (LOTI) retranscrites depuis 2010 dans le Code des Transports.

Le Conseil d'État en a rappelé les termes "L'évaluation des grands projets d'infrastructures comporte : (...) / 2° Une analyse des conditions de financement et chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière; le Conseil d'État décide donc de rejeter l'utilité publique au point 8 : "Considérant que le dossier d'enquête préalable... se borne, dans son analyse des conditions de financement du projet, à présenter les différentes modalités de financement habituellement mises en oeuvre pour ce type d'infrastructures... qu'il ne contient ainsi aucune information précise relative au mode de financement et à la répartition envisagés pour ce projet ; qu'eu égard notamment au coût de construction, évalué à 1,6 milliard d'euros en valeur actualisée 2011, l'insuffisance dont se trouve ainsi entachée l'évaluation économique et sociale a eu pour effet de nuire à l'information complète de la population et été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative ; que le décret attaqué a ainsi été adopté dans des conditions irrégulières".

Le constat de la Cour des comptes portant sur l'absence des modalités de financement du Lyon-Turin, dont le coût avoisinerait les 30 milliards d'euros pour l'ensemble du projet et 10 milliards pour le seul tunnel transfrontalier, se trouve donc validé par le Conseil d'État. Le Conseil d'État porte donc une attention légitime et légale à l'analyse et la disponibilité des financements dans une période de fort endettement et de déficit public peu maîtrisé par les gouvernements successifs. De même que le rappel de l'atteinte au droit de propriété par des réserves foncières excessives et pour des périodes supérieures à 15 ans constitue une saine mise en garde aux élus. Cinq mois avant sa décision de rejet de l'utilité publique du projet Poitiers-Limoges, le Conseil d'État s'était prononcé sur l'utilité publique du projet Lyon-Turin.

Plus de mille requérants, dont des collectivités territoriales et des associations, et des intervenants volontaires avaient demandé l'annulation de l'utilité publique du projet Lyon-Turin en rapportant dans leurs mémoiresles preuves et déclarations publiques du représentant de RFF et les rapports de la Cour des comptes qui établissent la preuve de l'absence de définition des modalités de financement et de leur répartition qui étaient inconnues lors de l'enquête publique. Les requérants ont conclu devant le Conseil d'État dans les termes suivants : "L'évaluation socio-économique requise par le Code des Transports aux articles 1511-1 et suivants codifiant l'article 14 de la Loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982, n'a pu être présentée à l'enquête publique puisque les éléments qui permettent de l'établir, capacités contributives, niveaux de tarification et financements n'étaient pas déterminés." Argumentation absolument identique à celle de la Décision du Conseil d'État dans l'affaire Poitiers-Limoges qui sera rendue cinq mois plus tard...

Les requérants se trouvaient "épaulés" par la Cour des comptes qui, dans son référé au premier ministre du 1er août 2012 sur le projet Lyon-Turin, développait un point 6° dont le titre était "Un financement non défini". Elle indiquait notamment : "Déjà très difficile auparavant, la recherche d'un montage financier est encore plus difficile dans le contexte actuel et aucun financement n'est prévu dans le budget de l'Agence de Financement des Infrastructures de Transport de France (AFITF) pour 2013."
Le Conseil d'État n'a pourtant pas suivi la même logique que celle retenue dans sa Décision "Poitiers-Limoges". Les mêmes causes produisant normalement les mêmes effets, il est légitime de s'interroger sur la logique du Conseil d'État dans sa décision du 9 novembre 2015 sur le Lyon-Turin.

Comme dans l'affaire Poitiers-Limoges, le Conseil d'État vise bien au point 22° que "/ 2° Une analyse des conditions de financement et chaque fois que cela est possible, une estimation du taux de rentabilité financière", mais contre toute attente et malgré les déclarations prouvant l'absence des modalités de financement, il déclare au point suivant : "23. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la présentation contenue dans le dossier d'enquête publique de l'intérêt socio-économique est le résultat d'un travail approfondi auquel ont été associés de nombreuses institutions et de nombreux experts... qu'il résulte de ce qui précède que les associations requérantes ne sont pas fondées à soutenir que le dossier d'enquête publique contiendrait une présentation erronée de l'équilibre socio-économique du projet".

On découvre donc qu'à cinq mois d'intervalle, selon les dossiers, les mêmes causes ne produisent pas les mêmes effets pour la justice administrative. Ce qui peut apparaître comme des décisions contradictoires, incompréhensibles pour le public, renforce le sentiment de défiance de plus en plus généralisé à l'encontre de l'Institution publique dans son ensemble. Cette défiance se trouve renforcée à la lecture du rapport du Conseil d'État pour 2007 sur ses activités de conseil du gouvernement par la section travaux publics. Il y est écrit en toutes lettres à propos du Lyon-Turin que "l'infrastructure étant réalisée conjointement avec un autre pays voisin dans le cadre d'une convention internationale régulièrement ratifiée et publiée, l'utilité publique devait être regardée comme présumée".

Si l'utilité publique est présumée par les éminents membres de la Section travaux publics du Conseil d'État, même si l'on sait que les sections Contentieux du même Conseil d'État sont protégées par une étanchéité revendiquée, les requérants peuvent s'interroger sur le lien qui pourrait exister entre cette déclaration écrite et la contradiction apparente entre les décisions Poitiers-Limoges et Lyon-Turin qui, pour des faits identiques, amènent la justice administrative à statuer de façon diamétralement opposée.

 

 

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