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LGV, Notre-Dame-des-Landes… « Deux visions du monde s’affrontent »

18 juin 2016 - Rue89 Bordeaux ( article du 14 juin)

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Le référendum du 26 juin sur Notre-Dame-des-Landes est un « rendez-vous manqué »

Le référendum du 26 juin sur Notre-Dame-des-Landes est un « rendez-vous manqué », estime Julien Milanesi. Dans son film « L’intérêt général et moi », sorti en salle, l’économiste landais analyse la démocratisation inachevée de l’écologie à travers les luttes contre l’A65, la LGV Bordeaux-Toulouse et l’aéroport de Nantes

Economiste et maître de conférence à l’Université Paul Sabatier de Toulouse, originaire des Landes, Julien Milanesi est co-auteur (avec Sophie Metrich) de « L’intérêt général et moi », documentaire informé et engagé sur le débat public et les luttes que suscitent les grands projets. Ex porte-parole des anti-A65, le chercheur landais suit depuis 10 ans les opposants aux lignes à grande vitesse Bordeaux-Toulouse/Dax et à l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Entretien.

Rue89 Bordeaux : Les opposants au projet de transfert de l’aéroport de Nantes Atlantique à Notre-Dame-des-Landes ont saisi en référé le Conseil d’Etatcontre la consultation locale, prévue le 26 juin. Qu’en pensez-vous ?

Julien Milanesi (DR)

Julien Milanesi (DR)

Julien Milanesi : Cette consultation était au départ une bonne idée. Elle confirme l’idée que nos structures démocratiques ne suffisent pas à asseoir la légitimité des décisions politiques. Deux visions du monde s’affrontent, et le fait que nos institutions soient sous pression, que le gouvernement se sente obligé de faire une consultation pour chercher ailleurs cette légitimité, sans renoncer à sa prérogative de décision, c’est une bonne nouvelle. Et une victoire des associations, même si celles-ci sont partagées sur ce référendum local.

Cette forme peut être intéressante pour trancher certains types de conflits. C’est la principale revendication des associations opposées au projet de golf de Tosse, porté par le département des Landes. Cela aurait dans ce cas une vraie pertinence, quand celle du référendum de Notre-Dame-des-Landes pose quelques problèmes, à commencer par celui du périmètre. Celui-ci n’a aucune justification politique ou institutionnelle, juste stratégique – on fait la consultation là où on pense pouvoir la gagner, dans le seul département de Loire Atlantique, alors qu’il aurait au moins du concerner les régions Pays-de-Loire et Bretagne, toutes deux représentées dans le syndicat mixte aéroportuaire du Grand Ouest, porteur du projet.

C’est donc une erreur politique, car au lieu d’éteindre la controverse, la consultation risque de la renforcer. Et c’est surtout  rendez-vous raté : le débat sur la construction de cet aéroport aurait pu se poser à l’échelle nationale, et aborder la question de la transition écologique

Des conflits naissent souvent du sentiment de passage en force des pouvoirs publics, à l’image de la signature de la déclaration d’utilité publique des lignes à grande vitesse Bodreaux-Toulouse/Dax. Comment analysez-vous cette opposition aux projets d’aménagement en France ?

On a l’impression d’un passage en force sur ces « grands projets inutiles et imposés », car les associations ont systématiquement l’impression d’être peu entendues. Nous observons ces luttes depuis plus de 10 ans, depuis que nous nous sommes opposés au projet d’autoroute A65. On a pu vivre et voir une montée en tension réelle sur tous ces conflits, dont le climax tragique a été la mort de Rémi Fraisse à Sivens. Mais cela se traduit aussi par des manifestations de 15000 personnes contre la LGV à Bayonne, ce qui est énorme dans une ville de cette taille, ou par des affrontements pendant les manifs à Nantes.

Crise de l’intérêt général

Cette tension est liée selon moi à une crise de  l’intérêt général. Des projets d’infrastructures qui faisaient une quasi unanimité il y a encore 30 ans voient aujourd’hui se révéler et s’opposer frontalement deux visions du monde et de l’avenir. Quelque chose de très fort se passe là. J’y vois une entrée en démocratie ou en politique des questions écologiques. L’espèce de ras-le-bol qui s’y exprime n’est pas issu d’une conscience écologiste intellectualisée, elle est beaucoup plus populaire. Il émane de gens qui voient disparaître les lieux  autour de chez eux, observent l’environnement se transformer. Ils entendent les discours sur la situation très grave que nous connaissons, sur le changement climatique ou l’érosion de la biodiversité, qui nous intiment de changer.

Alors tous ces projets de grandes surfaces, de centres de loisirs ou de golfs sont souvent les gouttes d’eau qui font déborder les vases. Aujourd’hui, on ne peut plus prendre des terres agricoles ou des zones humides sans soulever une contestation. C’est nouveau.

L’autre vision reste elle liée à des prévisions toujours très optimistes d’augmentation des trafics et de la mobilité, comme si celle-ci, et l’économie entière, pouvaient croître sans limite. Ces prévisions sont centrales, car elles conditionnent la rentabilité des projets. Mais on l’a vu avec l’A65, elles étaient erronées. Ce n’est pas étonnant : depuis 15 ans, le trafic routier n’augmente plus.

L’accumulation d’expertises sur les impacts écologiques et économiques ne change pas forcément la donne, comme on a pu le voir avec le GPSO : la décision finale revient au politique

Nos procédures consultatives se sont améliorées, avec la création depuis une vingtaine d’années des enquêtes publiques et des commissions du débat public. C’est un vrai plus démocratique, car le débat peut s’organiser, mais cela ne suffit pas pour trancher sur des décisions très lourdes à prendre, engageant des visions du monde.  Notre système de démocratie représentative est clairement remis en question et notre film interroge cette idée : comment une seule personne peut-elle prétendre incarner l’intérêt général ? Parce qu’ils sont élus, nos hommes politiques s’en croient pourtant dépositaires, et croient pouvoir faire Notre-Dame-des-Landes ou la loi travail malgré leurs électeurs.

L’intérêt général, c’est eux, et c’est justement cela qui est contesté aujourd’hui. Quand Alain Vidalies (actuel secrétaire d’Etat aux transports, NDLR) rappelle fièrement dans le film qu’il est élu député des Landes depuis 19 ans, il ne se rend pas compte à quel point c’est exaspérant pour les citoyens, qui perçoivent le monde politique comme une caste renforcée. Les gens n’acceptent pas d’être dépossédés de la vision sur leur territoire. Le schéma d’un intérêt général forcément défendu par les élus face à des gens qui défendraient leur fond de leur jardin, est aujourd’hui obsolète.

Obsolescence du logiciel

Pourquoi ?

J’aime bien la phrase du militant anti-LGV Victor Pachon : « On sait lire, écrire et compter ». Les associations sont aujourd’hui dotées d’énormément de compétences, avec des retraités ou des bénévoles qui sont effectivement experts comptables, banquiers, enseignants… Ces militants sont capables de lire des analyses financières ou de faire des synthèses de documents épais. Les élus n’ont je pense pas compris cette réalité.

Ils reçoivent pourtant quantité de rapports critiques, par exemple de la Cour des comptes sur la politique tout-LGV…

Nous avons interviewé pour le film Claude Gressier un ingénieur des ponts et chaussées, haut fonctionnaire aujourd’hui à la retraite, et qui a dirigé tout ce que le ministère des transports compte comme directions. Bref, c’est une personne les plus influentes de ce secteur. Or elle nous dit la même chose que les associations écolos : qu’il faut arrêter la grande vitesse pour donner la priorité à la rénovation du réseau. La technocratie bascule sur des arguments de rationalité économique, ce qui en dit beaucoup sur l’obsolescence du logiciel intellectuel de notre classe politique. Alain Rousset est un peu l’archétype de ce modèle productiviste très Trente Glorieuses. Il ne mesure pas que les infrastructures ne développent pas forcément les territoires, mais contribuent à les vider en polarisant l’économie sur les grands centres métropolitains.

Je préfère voir dans cette obstination des idées plutôt que la poursuite d’intérêts particuliers, bien qu’il y en ait aussi. L’influence de grands groupes comme Vinci est importante, et ceux-ci ont plus d’entrées auprès des politiques que les associations. Ce n’est pas de l’ordre de la corruption, plutôt des phénomènes de copinage ou de portes tournantes, à l’image d’Elie Spiroux, directeur de cabinet d’Alain Rousset passé chez Eiffage (qui a construit l’A65)

Le syndrome NIMBY (« not in my backyard », pas dans mon jardin) serait selon les élus la mère de ces contestations. Or des personnes interrogées dans votre film reconnaissent s’être intéressé à un projet parce qu’il allait passer devant chez eux…

Parce que c’est nécessaire pour s’y intéresser ! Un ouvrier va se syndiquer parce que son emploi est menacé. Les engagements purs, complètement intellectuels et détachés de la vie personnelle existent, mais sont rares. Moi-même, je ne me serais pas intéressé à ces questions si une autoroute ne m’était pas passée sur les pieds – sur une zone humide, les Neuf Fontaines, près de mon village de Bostens, dans les Landes, un site dont je ne mesurais même pas la richesse écologique jusqu’à ce qu’il soit menacé.

Alors, on regarde qui nous marche sur les pieds et pourquoi, puis on estime si on doit se pousser ou pas. C’est ce que disent beaucoup de gens : « Si l’intérêt général avait vraiment été en jeu, on se serait poussés. Mais si on voit qu’on se sacrifie pour rien, on se met en marche ». Les associations qui restent dans le Nimby disparaissent vite, à moins d’être puissantes ou d’avoir des relais aux plus hauts niveaux du pouvoir pour faire bouger un tracé d’autoroute ou de LGV. Dans ces cas là, soit les personnes concernées ont des entrées au ministère et aucun intérêt à monter une association, soit, parce qu’elles défendent des intérêts particuliers, elles n’ont aucune chance d’influer sur la décision ou de convaincre qui ce soit.

Que nous dit la multiplication des zones à défendre (ZAD) ?

Sur l’A65, nous n’avions pas fait de ZAD car on était pas assez nombreux. Si le projet d’autoroute naissait aujourd’hui, il susciterait beaucoup plus de controverses. Quand on a en face un rouleau compresseur administratif que rien n’arrête, il faut au final mettre son corps en travers. C’est  ça la notion des ZAD, se mettre physiquement en travers, ce qui peut se faire de façon non violente.  Ces militants prêts à donner une partie de leur vie peuvent certes aussi compter sur des guérillas juridiques ou de la production d’expertise. Mais l’idée que finalement la raison va l’emporter ne marche pas : l’A65 est vide comme l’avaient prévu les services de l’Etat, qui disaient qu’elle ne serait pas rentable. Il ne suffit pas d’avoir raison pour gagner ! Il y a toute une démocratie écologique à construire. Ces conflits nous obligent à nous retrousser les manches.

 

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