5 décembre 2021 - Sud Ouest
Laurence Cavalier a déménagé dans l’airial familial de Bernos-Beaulac en 1981.© Crédit photo : A.D.
À quelques centaines de mètres des futurs rails, le débat sur l’utilité d’une ligne à grande vitesse (LGV) s’enflamme aussi facilement qu’une allumette. « Ce projet est une honte », tisonne la maire de Bernos-Beaulac, Jacqueline Lartigue-Renouil. Il y a un peu plus de dix ans, les 1 100 habitants de ce village du Sud-Gironde assistaient, médusés, à l’inauguration de l’autoroute 65. « Notre village a été coupé de force en deux, du nord au sud », trace l’édile avant de sortir une carte du Grand Projet ferroviaire du Sud-Ouest (GPSO). « Demain, si la LGV voit le jour, notre commune sera également coupée d’ouest en est. »
Le Ciron coule dans le jardin de Laurence Cavalier. C’est là qu’elle a appris à nager.
Ce quadrillage des mobilités rapides mine cette commune des Landes de Gascogne. Un zoom suffit pour comprendre l’ampleur du chantier. Un kilomètre au sud du bourg, un triangle apparaît sur la carte du GPSO. En haut : la ligne droite Bordeaux-Toulouse. À gauche : la courbe Bordeaux-Dax. À droite : la courbe Dax-Toulouse. Un carrefour ferroviaire qui gèlera plusieurs centaines d’hectares. Un triangle maudit pour ceux qui habitent à proximité. Ou même à l’intérieur du triangle.
Après l’A 65, la LGV
Deux lignes lèchent la propriété de Laurence Cavalier, au lieu-dit Le Vivier. Cette maître de conférences en archéologie à la faculté de Bordeaux a déjà vu l’autoroute Langon-Pau s’inviter au fond de sa propriété, à 400 mètres à vol de palombe de son corps de ferme. « Depuis 2010, j’entends les camions mais je ne les vois pas. L’avantage, c’est que l’A 65 n’est pas fréquentée », positive-t-elle.
Il fallait être forte dans sa tête pour ne pas tomber en dépression
Le tracé théorique de la LGV est beaucoup plus proche de sa maison : 200 mètres au nord pour le tracé Bordeaux-Toulouse et 200 mètres au sud pour le Bordeaux-Dax. « Je suis cernée. » Laurence Cavalier a déménagé dans cet airial familial (terrain typique du massif des Landes de Gascogne) en 1981. Un havre de paix où elle n’était réveillée que par le brame du cerf. « Pendant 30 ans, j’ai vécu au milieu de mes pins et de mes chênes. »
Les chênes centenaires lancent une ola à l’entrée de la propriété du Vivier.
Et demain ? « Je ne sais pas à quoi pourrait ressembler ma propriété. Comment pourrais-je accéder à ma maison ? Vont-ils construire des grands murs antibruit ? À quelle hauteur sera le viaduc qui enjambera le Ciron ? » Ses questions se noient dans la rivière où elle a appris à nager avec son père. Le Ciron est situé en pleine zone Natura 2000. Quelques méandres en aval, les kayakistes embarquent à la base nautique de Bernos pour découvrir les gorges et sa hêtraie.
Vivre avec le doute
La propriétaire de Bernos-Beaulac rembobine : « Un responsable de la SNCF est venu chez moi il y a quelques années. Je lui ai dit que ce projet allait bousiller ma maison. Il a évoqué une possible procédure d’expropriation. Sans jamais s’engager vraiment. Il m’a simplement dit qu’il n’y a pas de pretium doloris (préjudice pour la douleur subie). Il fallait être forte dans sa tête pour ne pas tomber en dépression. » Depuis ce rendez-vous ? Rien. « Je n’ai plus eu de nouvelles. Je ne sais pas si je vais rester ici ou non. Les règles de distances d’expropriation sont floues. Je vais peut-être devoir rester avec deux voies ferrée qui passent dans mon jardin. »
Sur la carte, deux tronçons du triangle ferroviaire passent à 200 mètres de sa maison, sur sa propriété.
Pour les partisans de la grande vitesse, la LGV est une ligne droite entre deux métropoles. Pour Laurence Cavalier, ce sont plutôt des montagnes russes. « Je suis passée par toutes les émotions ces dernières années. Un coup le projet est sur les rails. Un autre il est enterré. C’est difficile de se projeter dans ces conditions. Alors on retarde les travaux, on se dit « à quoi bon ». On vit dans le doute », témoigne-t-elle. En début de mandat, Emmanuel Macron avait enterré les projets de LGV. « J’étais confiante, j’ai même refait la toiture de ma maison », sourit la propriétaire. Elle a vite déchanté avec les promesses de financement de Jean Castex.
Une question de point de vue
Sur la carte du GPSO, la maison de Laurence Cavalier n’est qu’un petit point noir au milieu d’un grand triangle. Il faut marcher dans le sous-bois pour comprendre que la réalité est bien différente. Depuis 40 ans, ici, une vie s’écoule au rythme du Ciron. « Je ne suis pas contre le train, je vais à Paris de temps en temps. Mais est-ce vraiment nécessaire de lancer un si gros chantier pour gagner quelques minutes vers Toulouse ? » demande-t-elle.
Laurence Cavalier : « Est-ce vraiment nécessaire de lancer un si gros chantier pour gagner quelques minutes vers Toulouse ? »
Que répondre à ceux qui pensent que l’intérêt général est plus important que la préservation de quelques maisons ? « C’est plus facile de dire cela quand le train ne passe pas dans son jardin. » La Beaulacaise attend la suite avec fébrilité. « Que faire aujourd’hui face à la conviction des grands élus régionaux ? Pour eux, la LGV rime avec progrès. Pour moi, c’est une fuite en avant.