10 novembre 2021 - Sud Ouest
Lot-et-Garonne : Charles d’Huyvetter, la locomotive des anti-LGV
Très Grande Vigilance en Albret était en sommeil depuis 2017, date à laquelle Emmanuel Macron avait enterré les différents projets de Lignes à grande vitesse. L’association s’est réveillée, sous l’égide de Charles d’Huyvetter, et organise plusieurs manifestations jusqu’à la fin du mois de décembre
Il est chef d’entreprise. Il a 60 ans, et rien ne le prédisposait à suivre cette voie de lutte. Depuis douze ans, cet homme qui frise les 2 mètres est le porte-parole des anti-LGV lot-et-garonnais. « Lorsque j’ai pris le micro en public pour la toute première fois en octobre 2009, à Langon à l’occasion d’une manifestation, je me suis demandé ce que j’allais bien pouvoir dire ! » Aujourd’hui, ce militant habitant Feugarolles, en plein cœur de l’Albret, est rompu à l’exercice depuis qu’il a fondé en 2009 l’association Très Grande Vigilance en Albret. « Au départ, nous étions cinq autour d’une table. Ensuite, une centaine puis 400 à l’occasion d’une grande réunion. C’est allé très vite. » La vitesse justement, il n’en veut pas entre Bordeaux et Toulouse. « On est contre les lignes à grande vitesse ici et ailleurs. »
Prêt à entarter Alain Rousset à nouveau
Depuis plusieurs semaines, la mobilisation s’intensifie sur le terrain, en Albret. Des maires de tout bord politique, des agriculteurs, des écologistes crient chaque samedi de novembre leur désaccord avec l’État. « Jean Castex a rallumé la flamme avec l’annonce des 4 milliards. » Charles d’Huyvetter, qui se définit comme un « agitateur », aimerait toutefois mobiliser davantage. « Le plus compliqué est de fédérer des gens de toutes sensibilités. Nous vivons dans un monde où tout se radicalise, et où il est compliqué de mobiliser des personnes de milieux différents. Les Lot-et-Garonnais doivent s’approprier un peu plus les débats. Descendre dans la rue n’est pas réservé à la CGT ou à Force Ouvrière. »
L’homme, fils d’agriculteurs est originaire de Belgique. Voilà 46 ans qu’il est installé à Feugarolles où il a construit une vie de famille. Avec son épouse, il est à la tête d’une entreprise spécialisée dans la fabrication de matériel médico-chirurgical et dentaire. Il retape aussi l’ancien couvent de la commune qu’il veut muer en salle de spectacle, restaurant et logements seniors. Celui qui n’a donc pas une minute à lui reste actif dans le combat de sa vie et aimerait voir des jeunes rejoindre les rangs des anti-LGV. « Plus de 1 000 hectares vont être saccagés dans le département, 4 800 entre Bordeaux et Toulouse. Ce serait un vrai projet d’intérêt général, OK. Mais là, ce n’est absolument pas le cas. À l’heure où l’on parle beaucoup d’environnement, d’impact sur la biodiversité, on est prêts à construire une LGV… » Ce message s’adresse aux politiques. L’agitateur et tous ceux qui l’accompagnent dans cette lutte pointent l’hypocrisie des deux présidents de Région Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. « Alain Rousset assure qu’une ligne à grande vitesse permet de dégager des créneaux sur les réseaux existants et ainsi d’éviter les bouchons de camions sur nos routes. C’est faux. Après avoir construit la LGV, il n’y aura plus d’argent pour développer le fret par exemple. Et la ligne Bordeaux-Paris nous le prouve : le trafic des poids lourds reste le même. »
« Fusée qui traverse nos campagnes »
Charles d’Huyvetter invite Alain Rousset au festival des Menteurs, à Moncrabeau, où la LGV devrait se frayer un chemin, et se dit prêt à nouveau à l’« entarter », comme il l’avait fait en 2010 à Nérac. « Il était en campagne et il nous avait traités de débiles dans une interview… » Le qualificatif avait, sans surprise, eu du mal à passer. « C’était une façon pour nous de lui dire qu’il n’était pas le bienvenu chez nous. À l’époque, nous étions des novices… La crème avait seulement atterri sur son manteau », sourit Charles d’Huyvetter. Quant à Carole Delga, elle est, selon lui, la principale locomotive de cette remise en route. « Elle est très forte en communication », déplore-t-il.
Très Grande Vigilance en Albret milite pour la réhabilitation de la Polt. Soit la ligne Paris-Orléans-Limoges-Toulouse. « Je suis allé sonder les Toulousains. Personne là-bas n’en a entendu parler. Tout comme de la modernisation des voies… » L’association conteste la LGV, et reste pour le TGV sur les voies existantes réhabilitées. « Nous ne sommes pas des anti-progrès ! Il faudrait clôturer, supprimer les passages à niveau [il y en a 145 en tout sur le tracé, NDLR] en passant dessus ou dessous, moderniser les ballastes, les rails, changer les systèmes d’exploitation de cadencement du train. » Dans ce schéma, la cohabitation du TGV, du fret et des trajets quotidiens est impossible, selon Alain Rousset. « C’est faux ! », corrige Charles d’Huyvetter qui indique en sus qu’il existe des solutions si nécessaire, telles la création de voies d’évitement. « Ce sera quoi qu’il en soit toujours moins cher… » La LGV Bordeaux-Toulouse coûterait 10 milliards. La modernisation « entre 2 et 3 milliards. » « Tout cela pour une différence de temps de treize minutes… »
Charles d’Huyvetter et les membres de l’association en sont plus que convaincus : « La LGV, cette fusée qui traverse nos campagnes, est réservée à une élite. » Elle n’intéresse pas les classes moyennes, qui privilégient les trajets du quotidien et qui « auront bien des difficultés à se payer un billet ».
On l’a compris, Charles d’Huyvetter ne lâchera rien. « Ce projet va mourir. Je vais tout faire pour, tout en évitant la création d’une ZAD… Ma seule crainte aujourd’hui est que cette ligne ne se concrétise jamais mais que cela ne soit jamais officialisé… » Soit un Albret qui vit avec une épée de Damoclès au-dessus de sa tête toute sa vie.