25 sept 2021 - Reporterre
Alors que le TGV fête ses 40 ans, Emmanuel Macron a annoncé la relance de lignes à grande vitesse. Des projets soulevant l’ire des écologistes pour leur démesure et leur coût environnemental et la crainte d’un retour à une politique du tout TGV.
Le TGV revient au galop. La pause n’aura finalement duré que trois courtes années. Au début de son mandat, Emmanuel Macron avait exigé l’arrêt des chantiers de nouvelles lignes à grande vitesse, mais à sept mois de l’élection présidentielle, le chef de l’État a fait un virage à 180°. Il a décidé de relancer tous les grands projets pour faire de « la décennie 2020, la décennie du TGV ». « Une page se tourne », a-t-il déclaré dans un discours à la gare de Lyon.
Il a profité de l’anniversaire du TGV — il a fêté ses 40 ans mercredi 22 septembre — pour l’annoncer. 6,5 milliards d’euros vont être investis et six nouvelles liaisons devraient être ouvertes dans les prochaines années : Bordeaux-Toulouse, Marseille-Nice, Montpellier-Perpignan, Paris-Normandie, Roissy-Picardie et la ligne très décriée du Lyon-Turin. Le président de la République a vanté « une passion française » et « un génie technologique » qu’il nous faudrait « poursuivre en grand ». « C’est un pari industriel, écologique et d’aménagement du territoire », a-t-il ajouté.
Une maquette du « TGV du futur », le TGV M, a été dévoilée à l’occasion. Prévu pour 2024, juste avant les Jeux olympiques de Paris, ce nouveau train « moderne » et « connecté » aura des allures de navette spatiale, tout de blanc immaculé. Son nez aérodynamique devra faciliter l’écoconduite, selon Jean-Pierre Farandou, le président de la SNCF. Il promet également un wagon d’innovation, un train plus résistant aux chocs, un nouvel éclairage et de la 5G. L’intérieur sera complètement modulable, ce qui permettra de basculer rapidement une rame de première en seconde classe. La SNCF a commandé une centaine de rames — un contrat à presque 3 milliards d’euros. Le gouvernement souhaite par ailleurs accélérer son rythme de construction et passer de 9 à 12 TGV M livrés par an à partir de 2024.
La nouvelle n’a pas forcément ravi les écologistes. « Pour l’instant, on a encore du mal à savoir si c’est un effet d’annonce électoral ou une tendance de fond », dit à Reporterre Anne Lassman-Trappier, de France Nature Environnement (FNE). Plusieurs des projets relancés sont en tout cas vivement contestés. C’est le cas notamment de la ligne Bordeaux-Toulouse. Son opposition n’a pas cessé depuis des années et les recours juridiques se sont multipliés. Ces derniers jours, suite aux annonces d’Emmanuel Macron, les banderoles hostiles à la LGV ont d’ailleurs refleuri dans la campagne bordelaise. Elles dénoncent toutes un projet « inutile » et « ruineux ».
Il est vrai que l’infrastructure est, en soi, démesurée. D’autant plus que le tronçon Bordeaux-Toulouse s’intègre à un projet encore plus vaste, reliant l’Espagne. Il compte plus de 300 kilomètres de lignes nouvelles au milieu des vignobles et des sites naturels. Selon le dossier du maître d’ouvrage, 65 millions de mètres cubes de terre risquent d’être déplacés et 4 830 hectares d’espaces naturels pourraient être impactés. Au total, chaque kilomètre de la ligne TGV coûterait 35 millions d’euros, ce qui en ferait la ligne la plus chère de l’histoire. Pour donner une comparaison, un collège coûte autant que 2 kilomètres de cette LGV.
Mais Bordeaux-Toulouse est loin d’être le seul projet à soulever l’ire des écologistes. La ligne Lyon-Turin qu’Emmanuel Macron souhaite relancer est, elle aussi, le théâtre d’une longue bataille depuis plusieurs décennies. En Italie, dans le val de Suse, des villages entiers sont « sous état de siège » et la lutte s’écrit au fil des manifestations et des sabotages. En France, ce projet pourrait également être « une catastrophe » pour les sources et l’approvisionnement en eau potable des villages de montagne. La ligne coûterait 26 milliards d’euros. Une gabegie financière selon la Cour des comptes. Mais qu’importe, le gouvernement s’entête. Sur les réseaux sociaux, on voyait même récemment son ministre des Transports, Jean-Baptiste Djebbari, poser en photo dans le tunnel transfrontalier, casque de chantier vissé sur la tête. Il citait alors les paroles du rappeur Booba : « J’ai creusé un tunnel dans son cœur, j’me suis évadé. »
- Les travaux du tunnel Lyon-Turin à Saint-Martin-de-la-Porte (Savoie), en 2019. Wikimedia Commons/CC BY 4.0/Poudou99
« C’est autant d’argent en moins pour les petites lignes »
Une critique plus générale se dessine en creux. Les écologistes craignent le retour de « la politique du tout TGV » avec son obsession de la puissance, son culte de la vitesse, son élitisme. En France, les 2 800 kilomètres de lignes TGV ont été acquis au prix d’un endettement colossal, conduisant lui-même à un sous-investissement chronique dans les trains du quotidien, pourtant plus populaires que les bolides filant à 320 km/h.
« Les sommes déversées dans ces grands projets, c’est autant d’argent en moins pour les petites lignes », estime Anne Lassman-Trappier. Le quinquennat d’Emmanuel Macron n’a d’ailleurs pas brillé en la matière. En 2018, dans une enquête exclusive, Reporterre avait révélé l’état dégradé des trains du quotidien et la multiplication des fermetures de lignes. La situation ne s’est guère améliorée depuis. En libéralisant la SNCF et en l’ouvrant à la concurrence, la réforme ferroviaire a accéléré le processus. Elle a poussé l’établissement à accroître sa productivité et à réduire ses coûts. Des petites gares ont fermé. Le service s’est numérisé. Et en parallèle, le ferroviaire est resté le parent pauvre des plans de relance.
Dans Reporterre, en 2011, Victor Pachon, le président du Collectif des associations de défense de l’environnement du Pays basque et du sud des Landes (Cade), alertait déjà que « l’objet des LGV était de cannibaliser la SNCF, de l’endetter jusqu’à l’agonie, de la dépecer et d’en livrer au privé les seuls secteurs rentables ». Pour lui, l’endettement énorme des LGV — presque 28 milliards pour le Réseau ferré de France (RFF) — était « un cheval de Troie pour liquider le service public ferroviaire ».
Le temps semble lui avoir donné raison. Dans son euphorie modernisatrice, le gouvernement vient d’annoncer en parallèle de la relance des lignes TGV la création de « quinze hubs high-tech » pour remplacer les 1 500 postes d’aiguillage que compte la France, avec au passage la suppression de milliers d’emplois.
« Il est temps de choisir entre le TGV et un train véritablement écolo »
La politique du TGV va coûter « un pognon de dingue », tout en privilégiant surtout les plus riches, les voyageurs aisés et d’affaires qui sillonnent la France à toute berzingue, prévient, en outre, le sociologue Julien Milanesi. En 2020, il tirait déjà ce constat auprès de Reporterre : « Ces financements sont mis au service des urbains pressés au détriment des navettes locales pour les moins fortunés. » Pour nourrir l’« hypermobilité » de cette classe sociale, des gares futuristes poussent en périphérie des villes et le béton engloutit des hectares de terre en rase campagne. Les activités économiques se concentrent quant à elles de plus en plus autour des métropoles et marginalisent peu à peu les territoires ruraux.
Au fond, se posent des questions éminemment écologiques. Que provoque cette accélération du temps ? Pourquoi le choix du gigantisme et de la vitesse ? Que dit le TGV de l’éparpillement de nos vies et de nos manières d’habiter ? Pour le chercheur François Jarrige, contacté par Reporterre, il est urgent de s’interroger et de comprendre que « le TGV est le dernier avatar d’une longue histoire. Son modèle reflète l’hubris appliquée au transport », dit-il.
Dans son livre Technocritiques (La Découverte), il montre comment le train a eu des impacts majeurs à tous les niveaux en tout temps. Au XIXe siècle, c’est lui qui imposa la ponctualité et l’uniformisation des horaires, c’est le long de ses lignes que s’étendirent les premiers réseaux de communication à distance, c’est lui qui réorganisa l’espace-temps. Loin d’un chemin pacifique, son essor s’est accompagné de controverses incessantes sur les meilleures techniques à utiliser, le choix des tracés, les enjeux sociaux liés à sa démocratisation.
Pour lui, « il est temps aujourd’hui de choisir entre le train prométhéen qu’incarne le TGV et un train véritablement écologique, low-tech, qui consommerait très peu, irait moins vite et maillerait davantage le territoire ».