22 juin 2021 - La Dépêche
Sur son bureau au-dessus de la boutique de vente directe à Montesquieu, le dossier "gel" était en haut de la pile. À la tête de 30 hectares de vergers, le cœur de l’hiver n’est toujours pas un souvenir pour Pascal Roques. L’épisode de froid intense a ruiné sa production de prunes d’Ente et les promesses du ministère de l’Agriculture n’engagent même pas ceux qui y croyaient encore un peu.
Dans une chemise verte, un autre dossier est passé en haut de la même pile. Trois lettres comme pour "gel" mais ce sigle signifie selon ce chef d’entreprise "l’arrêt définitif" de ses activités professionnelles. Ligne à grande vitesse, LGV. Le projet de tronçon entre Toulouse et Bordeaux pour mettre la Ville rose à trois heures de Paris. Plus qu’un long discours, Pascal Roques ressort la vingtaine de pages écrites pour la commission d’enquête publique.
Père et fils
Tout y est. "C’était il y a cinq ans je crois. Aujourd’hui c’est encore plus clair : si cette ligne voit le jour, c’est la fin de l’entreprise. Deux générations s’y sont succédé, ma fille aurait pu reprendre mais c’est devenu impossible." 30 hectares de vergers, des salariés, des investissements pour favoriser l’accueil. Le père Guy Roques a connu le transfert d’une partie de son exploitation à la naissance de l’autoroute A 62.
En 1994 "lorsque j’ai pris le relais de mon père, nous avons été informés d’un tracé longeant l’autoroute. Je savais que mon exploitation serait impactée, mes surfaces de vergers diminuées." Le tracé a évolué, il est désormais définitif. Résultat, "les parcelles référencées forment un seul tenant et l’exploitation va être coupée en diagonale." Pertes estimées, environ 10 hectares "un tiers de l’exploitation en moins. Reconstruire à l’identique ailleurs est impossible. Et les indemnisations possibles me laissent rêveur quand on voit ce qui s’est passé pour le tronçon Tours-Bordeaux."
Investissements
La perte de surface agricole n’est pas le seul dommage. Pascal Roques pose la question du devenir de l’espace de vente à la ferme pendant, et après les travaux. "La vente directe sera totalement impactée et sa légitimité détruite. Les camping-cars de France Passion, c’est fini. Les repas à la ferme on peut leur dire adieu aussi. Les clients du quotidien ou de passage seront tentés d’aller voir ailleurs." A 56 ans, le fils Roques ne se dit pas prêt à rebondir. Le chef d’entreprise se retrouve dans une impasse. Selon nos informations, un projet de cession a capoté dans les derniers mois via la Safer, l’organisme de gestion du foncier agricole. Le repreneur ne voulait sans doute pas voir passer les rames LGV. Des investissements consentis depuis plus de vingt ans enfouis dans le remblai de la ligne à grande vitesse. "Je n’ai eu aucun contact avec les responsables du GPSO (*), et la concertation reste à ce jour seulement un mot."
Pascal Roques est chef d’entreprise. Il est aussi propriétaire d’une maison à mi-coteau au-dessus de Montesquieu. Là aussi le silence règne. "Cette demeure est assez loin du tracé pour ne pas être indemnisée. Elle est assez proche pour avoir toutes les nuisances du chantier et du passage des rames."
Quel gâchis, soupire le patron de la Ferme de Roques. "Tout ça pour gagner vingt minutes sur une ligne qui n’est pas saturée comme l’affirme SNCF Réseaux. Notre histoire n’est qu’une goutte d’eau. C’est dramatique de voir des terres agricoles détruites."
À la fin avril, le Premier ministre Jean Castex a annoncé la participation de l’Etat à hauteur de 4 milliards d’€ environ. Ce coup de pouce à quelques semaines du premier tour des élections régionales permet, selon le gouvernement, d’entamer la phase du chantier en lui-même en 2024, soit cinq ans avant le dernier calendrier théorique prévu. À ce jour, le Lot-et-Garonne ignore le nombre d’arrêts quotidiens prévus à Agen. "Si j’ai bien compris le concept de la ligne à grande vitesse" résume Pascal Roques, "C’est bien d’aller le plus vite possible d’un point A à un point B sans étape non ?"
(*) Grand projet du Sud-Ouest
S. Bersauter