31 octobre 2016 - Sud Ouest
Avec la LGV, Bordeaux serait à 2 h 05 de Paris et, au sud, la continuité du réseau serait possible entre France et Espagne, ce qui présenterait un intérêt notamment pour le fret © JEAN-DANIEL CHOPIN
ARTICLE ABONNÉS Le Collectif des associations de défense de l'environnement dénonce un débat faussé par des chiffres gonflés dans d’importantes proportions
Le dossier de la ligne à grande vitesse dans le Sud-Ouest avance cahotant, par soubresauts et polémiques comme récemment devant l'assemblée régionale où il était question de financement. Alors que le secrétaire d'État aux transports, Alain Vidalies, soutient contre vents, marées et enquête publique le projet, ses opposants restent mobilisés. Ils attaquent au Conseil d'État la déclaration d'utilité publique (DUP). Et pointent aujourd'hui des projections de trafic surévaluées entre Dax et la frontière.
Le Cade (Collectif des associations de défense de l'environnement) mène la fronde « au sud ». L'opiniâtreté de ses militants leur permet d'affirmer que l'aménageur SNCF Réseau et tous les tenants de la LGV prophétisent à tort une saturation des lignes actuelles à l'horizon 2020. Or, c'est cette perspective qui justifierait la création de lignes nouvelles plutôt que l'aménagement de l'existant.
14 561 doublons
Documents à l'appui, Victor Pachon remonte le temps jusqu'à la dernière réunion de l'Observatoire du trafic, créé par le préfet de région. « Cette réunion était en 2014. Depuis, c'est en sommeil », souligne le porte-parole du collectif écologiste. Ce jour-là, le Cade s'étonne des différences étonnantes entre les flux observés en gare de Bayonne et Hendaye. « Il ne pouvait s'agir que de trains comptés deux fois. » La Dreal (Direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement), qui organise la réunion, doit se rendre au même constat. Elle le signera même dans le compte rendu de la rencontre, page 3 : « Les trains qui arrivent et repartent d'une gare, après un arrêt de quelques minutes, sont malheureusement comptabilisés deux fois dans les calculs. »
« Il ne pouvait s'agir que de trains comptés deux fois »
Victor Pachon et les siens décortiquent les données et font la somme de ces doublons. Ils arrivent au total de 39 trains quotidiens. « C'est 14 561 trains par an qui ne devraient pas être comptés dans les projections de trafic. Ce n'est pas rien. » La Dreal tente d'abord de balayer l'objection. Si les volumes sont faux, la tendance qu'ils dessinent n'en est pas moins réelle. Et c'est une augmentation des TER, même si les TGV diminuent dans la même période.
Trafic en baisse
Un peu court, pour le Cade qui produit un mail de la Dreal en réponse à une de ses interpellations sur ces distorsions de chiffres. Il y apparaît clairement que « ce problème de double compte pour les trains arrivant et repartant en gare est présent pour les années 2006, 2011 et 2012. » « C'est ennuyeux », grince Victor Pachon. « Les chiffres étaient déjà faux en 2006, année où est lancé le débat public sur la LGV. La consultation sur le projet a eu lieu sur des bases de trafic erronées. C'est tout de même un problème. »
« Les chiffres étaient déjà faux en 2006, année où est lancé le débat public sur la LGV »
Depuis la suspension de l'Observatoire des trafics, le collectif procède à sa propre « observation ». « Nous nous basons sur une publication annuelle de la Chambre de commerce et d'industrie, elle-même basée sur les chiffres de la SNCF. » Depuis 2006, le trafic passagers a baissé de 21 % en gare de Bayonne, de 26,5 % à Biarritz, de 16 % à Saint-Jean-de-Luz. La stratégie qui a consisté à augmenter l'offre de TER pour tisonner la demande du public semble ici montrer ses limites.
Le Cade a aussi étudié le fret. « C'est plus délicat, car il bénéficie du secret commercial. » Les militants fouillent toute la documentation disponible et trouvent des indications dans le dossier d'enquête publique sur l'autoroute ferroviaire atlantique, comptent finalement 13 trains de fret quotidiens. « Nous avons obtenu la confirmation de cette estimation par un document de l'Audap (Agence d'urbanisme Atlantique Pyrénées) que nous tenons à disposition de chacun. » On peut y lire précisément « 13,8 » trains entre Dax et Bayonne. « Fret et passagers, on arrive à 76 trains par jour. Dans le débat public, on nous parlait de 100 en sortie de Bayonne. Avec une perspective de doublement. On en est loin. » Le Cade dénonce l'idée d'une saturation des lignes d'ici 2020. Celle qui fonde le projet de LGV.
À l'heure où nous publions ce dossier, notre demande d'interview d'Alain Vidalies, secrétaire d'État chargé des transports, n'avait pas reçu de suites.
Financement
Les élus de la Nouvelle Aquitaine devaient être appelés, la semaine dernière, à voter 5,6 millions d’euros pour la poursuite du projet LGV, via une décision modificative. Mais le texte a été retiré par Alain Rousset, le président de la Région. Ses « alliés » écologistes étaient vent debout. En campagne pour la tête de la grande région, Alain Rousset n’avait-il pas promis à ses « amis » que l’institution ne paierait plus pour la LGV ? Un engagement qui scellait leur accord de majorité. C’est ce que lui ont rappelé ses « partenaires » d’Europe Ecologie -Les Verts.
La déclaration d’utilité publique attaquée
En juin dernier, le secrétaire d’État aux transports, Alain Vidalies, déclarait d’utilité publique (DUP) la création de lignes à grande vitesse (LGV) depuis Bordeaux, vers Dax et Toulouse. Une décision en contradiction avec les conclusions de l’enquête publique sur le projet. Celle-ci avait mis en cause l’impact environnemental du projet, son intérêt économique, les déséquilibres territoriaux qu’il pourrait occasionner. Le ministère n’a pas suivi le commissaire enquêteur. Le Conseil d’État est appelé en arbitre.
Les Amis de la terre dans les Landes et trois propriétaires expropriés, portent ce recours contre la DUP. Celle-ci doit faciliter, au nom de l’intérêt général, les procédures telles que les expropriations. Le Collectif des associations de défense de l’environnement a largement participé à la construction de la requête. Celle-ci attaque d’abord au porte-monnaie. « Nous dénonçons un projet dont les modalités de financement ne sont pas fixées », souligne Victor Pachon, le porte-parole du Cade. La situation du tronçon Tours-Bordeaux illustre les difficultés à financer pareille infrastructure. « En 2015, il manquait toujours 900 millions d’euros », souligne l’opposant au projet.
C’est un fait, les collectivités se font tirer l’oreille pour payer. Et les banques ont montré quelques réticences récentes : le consortium bancaire mobilisé sur le tronçon Tours-Bordeaux a suspendu son versement du mois de novembre 2015, pour obtenir de la SNCF plus d’allers et retours quotidiens.
Choc de l’offre
Les requérants estiment aussi que « les effets du projet sur l’environnement sont appréciés de façon très insuffisante ». Ils décrivent comme « illusoires » les mesures compensatoires évoquées dans le dossier. Dans l’enquête publique, les promoteurs de la LGV avancent une diminution des émissions de CO2 grâce à la LGV de l’ordre de 250 000 tonnes par an. Le commissaire enquêteur explique que, sur cette base, « la durée d’amortissement des émissions liées au chantier de la LGV oscille autour de 190 ans ».
Les Amis de la Terre soutenus par le Cade contestent l’impact réel des voies nouvelles. Ils mettent en cause l’infaillibilité du principe de « choc de l’offre », selon lequel l’offre de train créera la demande. « Les gains de temps et de voyageurs ne sont pas démontrés. » Pas démontrée non plus, selon les détracteurs de la LGV, la rentabilité des futures lignes. Son évaluation par SNCF réseau leur semble « biaisée ». Exemple contenu dans le recours : « La non prise en compte du changement de la TVA » dans les calculs. Un autre ? « Le coût de la circulation des 2 360 camions par jour ouvré de chantier » n’est pas retenu dans les évaluations.